« Réunion d'information avec Colombe Brossel sur la mise en œuvre de l'aménagement des rythmes éducatifs dans le 5ème |
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| Ordre du jour de la séance du conseil d’arrondissement du 5ème du jeudi 27 juin 2013 »
Pierre Mauroy était le produit de l’imbrication de deux cultures indissociables : celle d’une génération marquée par la seconde guerre mondiale et la guerre froide ; celle d’une région, la Flandre, ouverte vers la Hanse et l’Europe du nord. Ce double ancrage se retrouve dans un engagement militant qui s’est d’abord élaboré à travers le syndicalisme et l’éducation populaire avant de culminer dans l’action politique.
De la guerre puis de la confrontation avec le bloc soviétique, il a tiré des conclusions qui ont contribué à son rapprochement avec François Mitterrand. Les deux hommes se retrouvaient sur un engagement farouche en faveur du processus de construction européenne (ce point ne fut-il pas le seul sur lequel, lorsqu’il était premier secrétaire du PS, Mitterrand a brandi sa démission quand cette option a été contestée par une fraction des siens menée par Pierre Joxe), comme sur la nécessité de rassembler toute la gauche, l’ensemble des familles socialistes et radicales bien sûr mais aussi les communistes, sans toutefois jamais céder un pouce de terrain dans le rapport de force entre l’Est et l’Ouest. Avec, en contrepartie, l’incapacité chez l’un comme chez l’autre de parvenir à concevoir qu’ils pourraient assister un jour à la disparition du bloc soviétique.
De l’ancrage régional il tire le modèle d’une France girondine devant, non seulement s’ouvrir vers ses voisins (dont aussi son engagement en faveur du tunnel sous La Manche), mais aussi en terminer avec le quadrillage départemental napoléonien pour retrouver, sur le modèle allemand, ses larges bassins de vie correspondant aux provinces médiévales. Sur ce point, en revanche, il se heurtera au jacobinisme de François Mitterrand qui laissera faire la décentralisation mais refusera la disparition des départements, au prétexte qu’il conviendrait d’attendre l’arbitrage de l’Histoire et, selon le mot de l’ancien président de la République, « je ne suis pas certain, Monsieur le Premier ministre, que ce seront les régions qui gagneront ».
Dès lors, l’idée même que Pierre Mauroy va se faire du socialisme et de la formation politique qui doit le porter sur les fonts baptismaux, emprunte davantage à la culture de l’Europe du nord qu’aux traditions « révolutionnaires » de la gauche française. En ce sens, en effet, il aura été un authentique « social-démocrate » dans un pays où cette référence continue souvent d’être perçue de manière péjorative.
Or, dans l’esprit de Pierre Mauroy, la « social-démocratie » n’était en rien une forme atténuée, voire abâtardie, du socialisme démocratique mais, tout au contraire, l’outil permettant de transformer, de manière profonde et continue, le réel. Rêver un nouveau monde certes, mais en se confrontant sans cesse à la réalité et aux limites qu’elle impose. Ce double mouvement lui semblait le seul capable d’éviter les dérives totalitaires justifiées par l’idéologie galopante qu’il avait combattue dès son plus jeune âge.
Le parti socialiste, à ses yeux, devait constituer le creuset dans lequel la nouvelle société s’élaborerait. Il devait favoriser le regroupement et le dialogue des diverses composantes d’une famille historiquement éclatée depuis les origines, militants, élus, syndicalistes, militants associatifs divers, tous fondus dans une même organisation et dialoguant sans cesse en vue de parvenir à une forme de consensus. Il n’a donc cessé d’œuvrer à rassembler les composantes éparses, à tenter de les faire vivre ensemble de manière pacifique, d’entraîner au-delà du strict univers politique le monde syndical et associatif.
C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, il ne pouvait concevoir – même si cela lui est parfois arrivé – d’appartenir à une « minorité » dans cette formation car, par essence, seule la majorité d’une formation social-démocrate est parvenue à dégager le point d’équilibre commun qui permet à l’ensemble de progresser. D’où aussi, en parallèle, son refus de toutes les exclusives, du rejet de tel ou tel groupe, ce qui l’a, par exemple, conduit à s’opposer à François Mitterrand lorsque ce dernier refusait d’accueillir Michel Rocard et le PSU lors de la préparation des « Assises du socialisme », mais aussi sa déception face au spectacle de la dégénérescence du PS en une juxtaposition de clans ou « d’écuries présidentielles » ce qui, là encore, l’a conduit, en 1988, contre l’arbitrage de François Mitterrand, à préférer tenter d’en assumer la direction et d’en préserver l’esprit, plutôt que d’occuper la fonction de président de l’Assemblée nationale que l’ancien chef de l’Etat souhaitait lui voir occuper.
Il y avait, chez Pierre Mauroy, une réelle ouverture au monde qu’il a traduite dans sa gestion municipale à Lille, dans ses options architecturales (d’Euralille à la rénovation du vieux-Lille) comme en matière culturelle (Festival de musique, initiatives laissées à des plasticiens) mais aussi dans son action de Premier ministre.
A l’heure du bilan, alors que le temps n’a pas encore effectué son travail de décantation, on évoque en général les nationalisations, la décentralisation, le dialogue social (lois Auroux) ou l’abolition de la peine de mort. Et si ce qui restera de l’action de chef du gouvernement, de Pierre Mauroy n’était pas plutôt à rechercher, au contraire, dans cette ouverture aux mouvements en profondeur de la société dont il n’a cessé de chercher à s’imprégner ?
Trois mesures, toutes prises en 1982, ont en effet relayé plus d’une décennie après le sursaut libertaire de la jeunesse en mai 68, les nouvelles aspirations de la société : la libération des ondes avec la reconnaissance des « radios libres », la dépénalisation de l’homosexualité qui débouche aujourd’hui sur le « mariage pour tous » et, à l’initiative de son ami Maurice Fleuret, directeur de la musique au ministère de la Culture de Jack Lang, l’instauration de la « Fête de la musique », idée reprise à présent dans plus de 110 pays.
Car la seule véritable ambition de Pierre Mauroy, de la fondation des Foyers Léo Lagrange au lendemain de la guerre jusqu’à Matignon de 1981 à 1984, aura bien été, inlassablement, de « changer la vie ».
Lyne Cohen-Solal, adjointe au Maire de Paris, et Thierry Pfister, journaliste, éditeur,anciens collaborateurs de Pierre Mauroy
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